La revue Billebaude

Lancée en 2012 par la Fondation François Sommer et les Editions Glénat, Billebaude est une revue d’exploration et de réflexion sur les usages et représentations de la nature. Chaque semestre, la revue propose autour d’un thème – le loup, la forêt, la ruralité, etc. -, des contributions de chercheurs, journalistes, acteurs de terrain, artistes. Dans un esprit d’ouverture, la revue tisse des liens entre le monde de la recherche, de l’art et celui de la gestion de l’environnement autour des enjeux de conservation de la nature. Consciente que la crise écologique et économique invite à recomposer un nouveau savoir où la science dialogue avec la culture et la gestion avec les pratiques et savoirs traditionnels, la revue fonctionne comme un laboratoire d’idées et d’échanges.

dernier numéro

N°23 Le Singe

Située au croisement des sciences exactes, des sciences humaines et des disciplines artistiques, Billebaude explore depuis 2012, numéro après numéro dans une alternance semestrielle, les liens qu’entretiennent l’humain et la nature. Ce 23ᵉ opus ne fait pas exception. Dédié à la figure du singe, que l’imaginaire commun associe à la ruse, à l’originalité et à l’agilité, il interroge les intelligences animales. Et si le singe était plus malin que son cousin humain ? Et si singer l’humain, c’était déjà entrevoir ses propres limites ? Et si notre planète avait en réalité déjà tout de celle des singes imaginée par Pierre Boulle dans les années 1960 ? Autant de questions que primatologues et anthropologues internationaux, critiques d’art et reporters, artistes et intellectuels se donnent le défi de soulever, en offrant leurs pistes, leur regard et leur expertise.

DANS CE NUMÉRO PAR ANTOINE KAUFFER

Rédacteur en chef de Billebaude


Après une incursion sur les territoires de l’animal augmenté, ce 23e opus de Billebaude part sur les terres familières de la monographie dédiée à un animal. Et quel animal : le singe !


Alors que de toutes parts retentissent les appels à la redéfinition urgente de nos liens avec le vivant, les cris d’alarme de notre cousin résonnent étonnamment peu. Sa présence bousculerait-elle les catégories ? C’est qu’avec lui, la frontière entre nature et culture vacille, celle qui sépare sauvagerie et humanité se brouille. Orient et Occident, passé et présent, réel et imaginaire, dans un même mouvement agile de l’animal, finissent par se confondre.


En faisant le choix de montrer les primates dans toute leur diversité (naturelle, plastique, spirituelle) et en croisant enquêtes de terrain et analyses des représentations, ce numéro épouse le jeu rusé du singe. Loupe en main, déplaçons-nous avec lui sur le fil des antagonismes que soulève son passage.


Pour nous orienter en chemin, quelques balises. La première nous vient d’une discipline scientifique : la primatologie. Née dans les années 1950 et issue de la biologie, son développement coïncide avec des changements culturels profonds dans les manières d’envisager notre rapport à l’environnement (Frans de Waal). La très longue histoire du singe résulte en effet de reconfigurations, de changements de perspective et de renouvellements du regard (Pascal Picq). Non sans quelques heurts, que des voix subversives, féminines surtout, auront eu la force de porter hier et aujourd’hui (Lætitia Bianchi).


Ces collisions, les artistes savent les saisir pour mieux les éclairer (Matthew Rose, galerie Walton Ford). L’Homme s’est tant ingénié à mettre en scène son semblable qu’un genre pictural est né : les singeries. Ces scènes où les singes imitent avec facétie les comportements humains auront trouvé des émules sur tous types de support (Yoann Groslambert). Dans ce jeu de représentations, le spectateur en vient à douter : qui est l’humain, qui est le singe ?


Et surtout, qui singe qui (Christine Germain-Donnat) ? Une malice artistique que la littérature contemporaine reprend volontiers à son compte (Sibylle Grimbert, lauréate 2023 du Prix François Sommer).


D’autres préfèrent photographier l’animal afin de rendre sa présence intemporelle (Éric Mollet, galerie Masao Yamamoto). Pour se départir de toute vision fantasmatique du singe, il faut s’aventurer dans les contrées où il vit encore… mais pour combien de temps (Emmanuelle Grundmann) ? Sur place, la rencontre n’est guère aisée : les habitats naturels reculés contraignent la recherche (Melina Gersberg). Activant notre part spirituelle, le singe transforme notre appréhension du monde animal (Philippe Charlier) ; si on l’accepte, ce sont les manières d’exposer l’animal qui deviennent sujettes à questionnements (Raphaël Abrille).


La course contre la montre est désormais engagée. Suivant le fameux récit d’anticipation de Pierre Boulle – La Planète des singes – l’évolution du singe serait plus rapide que la nôtre (Simon Bréan). C’est compter sans la vitesse de destruction, bien réelle cette fois, de son habitat. Avec elle, le langage, contaminé, s’emballe, cherchant à susciter avant qu’il ne soit trop tard une rencontre avec l’animal (Anne Simon).


En définitive, figurer le singe, c’est accepter de nous confronter à nous-mêmes doublement : dans notre proximité génétique avec lui, mais aussi en faisant face à notre responsabilité dans la sauvegarde de son environnement – qui est aussi le nôtre. Malin, décidément, ce singe. Sans simagrée, il réveille nos consciences. Aurons-nous l’intelligence de l’entendre ?


Crédits photo :

Couverture de la revue Billebaude : image Brad Wilson, conception graphique T&D

comité éditorial

Henri de Castries

François Chemel

Andrée Corvol-Dessert

Christine Germain-Donnat

Jacques Glénat

Antoine Kauffer

Alban de Loisy

Anne Simon

contact (fondation françois sommer)

Antoine Kauffer, rédacteur en chef : a.kauffer@fondationfrancoissommer.org

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