N°11 L'animal imaginaire
Prix public TTC France : 19.90 €
L’animal imaginaire est celui que l’on invente dans les contes et les mythes. Cet imaginaire évolue dans le temps. Il est relatif à ce qui est réel, à la façon dont nous connaissons les animaux, dont nous vivons avec eux. Sirène, pieuvre, mammouth, chouette sont racontés par des chercheurs en histoire, anthropologie, littérature… comme ces animaux dont les territoires se situent à la frontière étroite entre le réel et l’imaginaire. Existent-ils ou non ? Quels mythes invente-t-on sur eux ? Chez l’artiste Julien Salaud, dont nous publions une galerie, les animaux s’hybrident. Devant la disparition de la biodiversité, un autre bestiaire imaginaire émerge sous la plume d’écrivains contemporains. Nous explorons aussi la question de la place qu’occupe l’animal dans notre imaginaire en vous livrant une missive écrite par « les Autres », les animaux dont le philosophe Paul Shepard imagine ce qu’ils pourraient nous dire.
EDITO
Dans son récit autobiographique Une année à la campagne (Gallimard, 1988), Sue Hubbell, biologiste de formation, convertie en apicultrice solitaire dans le Missouri, cite cette classification dénichée par Jorge Luis Borges dans une « encyclopédie chinoise ». Elle raconte : « Cette liste nous fit rire, quelques amis et moi, et nous décidâmes que notre réaction en disait plus long sur nous et notre mode de pensée européen occidental, qu’elle n’en dit sur une conception du monde prétendument orientale. »
À nos yeux, la frontière entre ce qui est réel et ce qui est imaginaire est nettement délimitée et bien étanche : c’est pourquoi ce mélange des genres nous fait sourire. Ce que nous tenons pour réel, c’est ce qui est vrai, objectif, produit par la rationalité scientifique. Tout le reste est imaginaire. Ce numéro de Billebaude interroge cette distinction fondatrice de notre mode de pensée occidental en explorant plus particulièrement son influence sur nos relations aux animaux. Nous avons choisi de mettre sur le même plan animaux réels et imaginaires – du thylacine à la chouette en passant par le dahu –, pour tenter de comprendre comment naissent ces animaux imaginaires et ce qu’ils révèlent de nos relations aux animaux « réels », et, plus largement, de notre vision du monde.
L’anthropologue Boris P. Chichlo raconte comment, à partir des défenses de mammouth affleurant du sol sibérien, les chasseurs « bricolent » une créature sacrée prenant les traits d’un « taureau aquatique » ou d’un « renne souterrain ». L’artiste Martin Jarrie présente, avec sa série de dessins, une histoire de notre imaginaire occidental de la chouette, qui de symbole de sagesse antique finira par être clouée aux portes des granges. Anthropologue et sociologue des sciences, Pierre Lagrange retrace une expédition à la recherche des sirènes. Si leur présence fut prise au sérieux par les anthropologues occidentaux, elles finirent prises au piège des réseaux sociotechniques déployés pour tenter de fournir des preuves matérielles et scientifiques de leur existence.
Ces récits, en s’intéressant à des créatures qui naviguent, dans le temps et l’espace, entre réel et imaginaire, nous offrent des pistes pour comprendre comment se font et se défont nos imaginaires autour de l’animal, et comment ces catégories que nous pensions stables sont perméables et changeantes. Ils invitent à de prendre au sérieux l’imaginaire comme un espace qui peut dire quelque chose de nos relations aux animaux.
Si l’on suit la thèse du philosophe Paul Shepard, dont nous publions le « Message de la part des Autres » – une lettre écrite aux humains par les animaux – qu’il nous a laissé en héritage, notre vie intérieure s’est constituée, depuis la nuit des temps, par et avec les présences animales. Il nous raconte comment, au fil de millénaires de vie commune, ils nous ont inspirés et habités en modelant nos imaginaires. D’eux nous tirons nos danses, nos parures, nos symboles. Que font leur disparition massive, aujourd’hui, et leur statut de masse domestiquée ou de sauvage menacé à nos vies intérieures, à nos arts, et à notre imaginaire ?