N°13 Affronter la 6ème extiction
Prix public TTC France : 19.90 €
Comment la liste rouge des espèces menacées, qui évalue le degré de menace pesant sur les espèces en métropole et en outre-mer, est-elle élaborée par les scientifiques ? En quoi, dans un moment de crise de la biodiversité, peut-elle servir de boussole pour mener des programmes de conservation des espèces en danger? Qu’est-ce que la disparition des espèces fait à notre sensibilité ? Comment composer avec ce senti- ment de perte tout en conservant la capacité d’agir ? À partir de ce constat scientifique de plus en plus alarmant, ce numéro de Billebaude cherchera à explorer des formes de cohabitation pour vivre en bonne intelligence avec les autres vivants.
Un numéro réalisé en partenariat avec l’UICN France (Union internationale pour la conservation de la nature).
EDITO
« Qu’une espèce porte le deuil d’une autre, voilà une nouveauté sous le soleil1 », constatait Aldo Leopold à propos du monument dédié au pigeon migrateur américain disparu, inauguré en 1947 dans le parc national de Wyalusing (Wisconsin). La crise d’extinction massive des espèces que nous traversons aujourd’hui n’est pas la première de l’histoire de la Terre. Mais elle est inédite en ce qu’elle est causée par une espèce, Homo sapiens, dont le mode de vie impacte celui des autres vivants.
Avec son réseau de scientifiques, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) est en première ligne. L’organisation tient à jour et développe notamment la liste rouge mondiale des espèces menacées, baromètre de l’état de conservation de la biodiversité, et élabore des recommandations pour tenter d’enrayer sa perte.
Le projet d’un numéro commun avec le Comité français de l’UICN est né d’une volonté de créer un espace d’exploration à la croisée des sciences de la conservation, des sciences humaines et des arts pour penser cette crise.
Pour « composer un nouveau pacte avec le vivant », tel que l’appelle de ses voeux son directeur, nous avons besoin des savoirs produits par l’histoire naturelle, les sciences de l’évolution, l’écologie scientifique et des programmes de conservation déployés sur le terrain, mais aussi d’interroger cette crise sur le plan des affects et de la sensibilité. Ce numéro a ainsi été nourri par des questionnements communs sur ce que pouvait signifier l’étude du vivant en temps d’extinction et le partage de constats scientifiques alarmants qui ne réduisent pas au désespoir, mais donnent la capacité d’agir.
Il y a un double sens dans l’idée d’affronter. D’abord faire front, chercher comment répondre à la crise, avec quelles idées, quelles pratiques, quelles stratégies. Et faire face, au sens de prendre la mesure, vivre avec cette crise et les disparitions qu’elle entraîne. L’articulation entre ces deux nuances du mot traverse tout le numéro.
Nous avons souhaité publier des histoires et des oeuvres d’art qui puisent dans la tradition du récit et des représentations naturalistes. Elles interrogent notre histoire scientifique moderne et réinvestissent la puissance esthétique de ces formats. A partir de planches naturalistes évidées, l’artiste Brandon Ballangée explore les questions du deuil, du rituel et de l’absence, sans que cela revienne à céder au désespoir ni basculer dans l’esthétisation de la perte. Au contraire, car l’enjeu pour nous est de raviver et rendre communicative la joie qu’il y a a « explorer la vie » autour de soi, cette biophilie, dont parle l’entomologiste Edward Wilson, inventeur du mot biodiversité. « C’est pour autant que nous en viendrons à comprendre d’autres organismes que nous leur accorderons plus de prix, comme à nous-mêmes », écrit-il dans la préface de Biophilie2 comme un constat optimiste sur la puissance contenue dans les sciences du vivant pour recréer des liens. Dans ce numéro, vous pourrez suivre des entomologistes, penchés sur les papillons des champs, qui font émerger un monde vivant derrière la prairie banale, découvrir la saga évolutive des escargots d’Hawaï, explorer les ancestralités animales de l’humain qui nous réaffilient aux autres vivants. Réinvestir collectivement des pratiques et des savoirs naturalistes, expérimenter des modes de cohabitation, raconter d’autres histoires… Ce sont autant de chemins explorés ici pour affronter la sixième extinction.
1. L’Almanach d’un Comté des Sables, Aldo Leopold, Flammarion, 2000, édition originale 1948 2. Biophilie, Edward Wilson, éditions Corti, 2012.