N°22 L'Animal augmenté
En lien avec l'exposition "Uchronie" de Vincent Fournier, le nouvel opus de la revue explore la thématique de l'animal augmenté.
"Animal augmenté", avez-vous dit ? Tantôt animal modifié par les sciences, tantôt animal transformé par les sens, BIllebaude explore les multiples manières d'augmenter l'animal d'hier, d'aujourd'hui et de demain. En convoquant regard des artistes, érudition des savants, sensibilités de patriciens et analyses d'hommes et de femmes de terrain, la revue creuse pour son 22ème numéro le sillon de notre rapport complexe à la faune qui nous entoure. Preuve que le vivant mérite plus que jamais toute notre attention !
Dans ce numéro,
par Antoine Kauffer, rédacteur en chef de BIllebaude
À l’heure où les menaces qui pèsent sur la faune sauvage occupent le débat public en France et à l'international, Billebaude poursuit son exploration des liens entre l’humain et l’animal. Pour ce 22ème numéro, la revue porte son regard sur l’animal augmenté.
Qu’est-ce au juste que l’« animal augmenté » ? Une entité déroutante puisqu’à première vue, elle ne correspond à aucune réalité scientifique. Mais aussi cette idée issue de la science-fiction: l’animal augmenté est celui sur lequel l’humain est intervenu pour en accroître une capacité physique, en intensifier l'intelligence ou lui adjoindre une technologie.
En quoi peut alors constituer le processus d’augmentation ? Du point de vue humain, avant tout dans l’accroissement de notre perception. Affaire d’échelle: de la révolution technique du microscope, qui, au cours du
XVIIème siècle, nous ouvre par grossissements successifs l’accès à un monde vivant nouveau (Philippe Hamou), aux réflexions contemporaines de certains écologues qui pensent l’humain à l’aune des populations de microorganismes encore largement méconnues (Rob Dunn). Dès lors, imaginons, spéculons, augmentons à la manière des récits d’anticipation du XXème siècle, peuplés d’animaux aliens décidément troublants (Irène Langlet) - ces bioformes plus ou moins fictifs qui brouillent nos frontières entre langages animaux et compréhension humaine (Adrian Tchaikovsky). Autant d’enjeux que les recherches scientifiques pionnières en bioacoustique nous permettent aujourd’hui d’envisager avec acuité (Nicolas Mathevon, lauréat 2022 du Prix François Sommer Homme Nature).
Car s’il est augmenté, l’animal l’est via l’intervention humaine. L’homme agit sur la faune pour mieux comprendre ses modes de fonctionnement, mais aussi pour trouver des applications techniques réplicables sur l’humain voire pour substituer au vivant une présence animée, à l’image de certains robots-animaux (Marie Tyl). De tels développements technologiques interrogent les limites éthiques que nous fixons à nos interventions sur l’animal (Aline Richard Zivohlava) — l’exemple nous frappe lorsqu’il touche à l’élevage où la productivité entre en jeu (François Thoreau). Le processus d’augmentation animale peut aussi relever d’une créativité féconde : lorsque l’Intelligence Artificielle devient un moteur d’esthétiques nouvelles (Mishka Henner) ou quand le jeu vidéo semble capable d'incarner l’expérience animale (Alexis Anne-Braun).
En définitive, l’animal s’augmente des récits que l’on tisse à partir de lui (Anne Simon). Nourri du travail scientifique (Jean-Sébastien Steyer), l’art-opération résolument « augmentante » s’il en est - invite au changement de perspective. Exposé au musée de la Chasse et de la Nature à Paris au printemps 2023, l’artiste-photographe Vincent Fournier le rappelle avec poésie: plutôt que d’exiger toujours plus de lui, augmenter l’animal, c’est lui accorder l’importance qu’il mérite. C’est lui rendre sa matière vivante. Et célébrer sa beauté.