du 13 mars au 2 septembre 2018
«Feuilles de printemps»
Écho littéraire
Le musée de la Chasse et de la Nature souhaite donner un écho littéraire aux œuvres d’art qu’il expose. Il a demandé à Anne Simon, normalienne, philosophe, et spécialiste de l’animalité en littérature, de ponctuer le parcours de visite de citations renvoyant aux thèmes abordés par les artistes. Au rythme de deux expositions par an, « Feuilles de printemps » et « Feuilles d’automne » présentent les ouvrages qu’elle a sélectionnés et qui sont autant d’incitations à poursuivre la découverte du musée en lisant.
«Midi, heure crue, pleins feux sur la montagne : la matinée a été bonne, le sang des bêtes a coulé à flots, le massacre est le nom du bonheur. Actéon le chasseur aurait même défié Artémis la déesse. C’est l’heure du repos et de la divagation. Le paysage ovidien s’assombrit : le jeune homme descend de ses hauteurs, passe le seuil interdit et pénètre l’espace sauvage mais régulé de la forêt. Il a quitté hommes et chiens, le voici devant la déesse immense et nue. Visage contre visage, regard contre regard : Actéon ignore-t-il que nul ne peut jeter les yeux sur le sacré, l’inconscient, le désir, son double, sans voile et sans écran ? Artémis a gardé deux armes : l’eau féminine et l’art de la parole.
De l’humain, Actéon perd la face, la forme, la raison, le langage. Ironie de la déesse des puissances nocturnes : homme bavard, mets-moi à nu si tu le peux ! L’orgueilleux ou l’imprudent a maintenant l’allure – le corps et le rythme – d’une partie de lui qu’il n’avait eu de cesse d’anéantir : le tremblement de la vie, l’affolement de la fuite. La femme-ourse (selon l’art indo-européen), l’homme-cerf élevé par l’homme-cheval (Chiron), les chiens-hommes aux noms grandioses, sont autant d’hybrides à envisager comme des masques du sacré ou des figures de soi. Les voici qui entremêlent leurs courses, leurs hurlements, leurs humeurs : source, sang, sueur, larmes, encre.
Emblème de la démesure, de la transgression ou de la chair souffrante, le chasseur chassé et le cerf transpercé hanteront les artistes. Les bois dont la régénérescence fascinait les païens se transforment au Moyen Âge : le cerf couronné de la Croix ordonne à Hubert de faire pénitence pour devenir patron de la chasse. La Renaissance verra en Diane, cette Artémis de Cour, la Femme qui décoche les mortelles flèches d’Eros. Notre modernité fera de celui qui est lacéré par les molosses et les soudards une figure de l’homme déchiré par l’Histoire, de Diane une France et un chant éternels : le langage a été ôté à Actéon pour être redonné aux poètes et aux lecteurs, dans l’inter-dit poignant de la résistance et de la compassion.
Gérard Garouste, Laurie Karp : des manières et des matières radicalement différentes, toutes deux cependant fascinées par les troubles hybridations, les festins où s’entre-dévorent les espèces, les étreintes cruelles au sein d’une forêt où s’effilochent nos rêves, nos mythes et notre histoire.»
Anne Simon
Directrice de recherches au CNRS